BASTIEN
Peinture acrylique sur caisson de bois, 61 x 71 cm
English version follows below
Le Bastien, aussi nommé le Munis Eris Vulgaris de la famille des Amorpheus Retrogadus, est la plupart du temps tapi dans la pénombre des fonds abyssaux.
D’une patience infinie, il agite mollement sa nageoire caudale cartilagineuse pour se propulser en cercle autour de son axe virtuel extatique.
À l’aide de ses deux grands yeux globuleux ahuris, il est à l’affût du moindre rayonnement lumineux, de la moindre lueur révélatrice de la présence d’une proie appréhendée.
Il n’y a pour lui aucune similitude entre le soi et eux hors de son environnement immédiat, il n’y a qu’eux. Il n’y a place que pour soi et ses ersatz au centre du grand tout des profondeur.
Peu mobile, le Bastien guette sans frémir la moindre variation de pression pouvant perturber l’onde dans laquelle il évolue.
Tout visiteur est proie, nourriture de laquelle il est avide. Il se délecte de la chair, de la substance de tous les visiteurs ayant l’imprudence de le côtoyer.
N’osant pas les vider de leur substance jusqu’à la moelle, il aspire une part à la limite du supportable de leur mobilité pour en faire sa vitalité.
Engluant le voisin candide, les turbulences caudales agitent d’imperceptibles volutes aqueuses en se répandant autour de lui tel un filet diaphane à peine perceptible, évanescent même, à peine agressant jusqu’à ce qu’il ouvre ses larges mâchoires. Grandes ouvertes, derrière des lèvres d’une douceur caressante, les mâchoires sont ornées d’une fabuleuse dentition acérée d’ivoire inaltérable.
Dissimulant sa surprise sous une fausse assurance, de rigides convictions inaltérables l’animent. Il ne se montre à la lumière qu’attiré par son lot.
Discrètement drapé dans sa bigoterie rassurante, il aime par-dessus tout claquer obséquieusement des mâchoires.
Il se veut incontournable, une part essentielle de la dynamique collective. Insouciant, candide et toujours innocent, ses prélèvements de vitalité ne sont pour lui que contribution à la stimulation des vigueurs qui lui sont malgré tout étrangères ou lorsqu’il les perçoit ne sont que possibles débordements menaçants sa quiétude.
Ignoré du technocrate, l’artiste bénéficie d’un privilège dont peu de gens sont conscients.
L’artiste laisse à la postérité des œuvres qui témoignent de son époque ou des caractères qu’il rencontre ; dans le cas du Bastien, c’est un personnage obscur qui croyait régner en maître dans un petit bureau où il terrorisait tous ses collègues avec un épais cartable dans lequel il tenait les règlements municipaux, y compris les plus désuets datant d’il y a un siècle, autant de contradictions dans les termes qu’il arrivait à dénicher patiemment.
S’adresser à lui semblait lui accorder le droit de refuser pour un détail ou l’autre qu’il savait dénicher dans son épais cartable. J’en ai fait une œuvre qui assurément durera plus longtemps que ses refus obstinés.
Cela m’a semblé une façon fascinante et créative de réfléchir aux rapports sociaux avec un bureaucrate qui ignorait à quel point il était par ses propres efforts, qu’il semblait considérer louables, caricatural!
L’œuvre, avec son imagerie vive du Bastien et son texte complexe, presque hypnotique, m’a permis de refléter la nature obséquieuse mais détachée du personnage.
La description d’une créature tapie dans l’ombre, se nourrissant des autres tout en étant enveloppée d’une fausse assurance, symbolise précisément un technocrate qui opère dans un système rigide et autocentré, ignorant l’impact réel sur le monde dont il semblait se croire absent.
L’utilisation de caractéristiques exagérées comme les yeux globuleux et les dents acérées ajoute une touche satirique, soulignant l’absurdité et la menace potentielle d’une telle personnalité.
Cela se veut une déclaration artistique, qui, je l’espère, laissera des traces que je souhaite indélébiles.
The Bastien, also named the Munis Eris Vulgaris from the family of Amorpheus Retrogadus, is most often lurking in the shadows of the abyssal depths.
With infinite patience, it lazily moves its cartilaginous caudal fin in a circle around its ecstatic virtual axis.
With the help of its two large, startled, bulging eyes, it is on the lookout for the slightest glimmer of light, the faintest revealing glow of a prey it anticipates.
For it, there is no similarity between itself and others outside its immediate environment; there are only others. There is room only for itself and its substitutes at the center of the vast entirety of the depths.
Hardly mobile, the Bastien watches without trembling for the slightest pressure variation that might disturb the wave in which it moves.
Every visitor is prey, nourishment of which it is avid. It delights in the flesh, the substance of all visitors who imprudently come near it. Not daring to drain them of their substance to the marrow, it sucks a portion to the limit of what they can bear of their mobility to make it its vitality.
Engulfing the naive neighbor, its caudal turbulences stir imperceptible aqueous swirls, spreading around it like a diaphanous net, barely perceptible, even evanescent, hardly aggressive until it opens its wide jaws.
Wide open, behind lips of a caressing softness, the jaws are adorned with a fabulous, sharp ivory dentition that never dulls. Concealing its surprise under a false assurance, rigid convictions animate it unchangeably.
It only shows itself to the light when drawn by its share. Discreetly draped in its reassuring bigotry, it loves above all to snap its jaws obsequiously. It considers itself indispensable, an essential part of the collective dynamic.
Carefree, naive, and always innocent, its vital extractions are to it merely a contribution to the stimulation of the vigor that, despite everything, remains foreign to it, or when it perceives them, they are merely possible overflows threatening its tranquility.
The artist benefits from a privilege of which few people are aware.
The artist leaves to posterity works that bear witness to their era or the characters they encounter; in the case of the Bastien, it is an obscure figure who believed he reigned supreme in a small office where he terrorized all his colleagues with a thick briefcase containing municipal regulations, including the most outdated ones dating back a century, full of contradictions that he patiently uncovered.
Addressing him seemed to grant him the right to refuse for one detail or another that he knew how to find in his thick briefcase. I have turned it into a work that will undoubtedly last longer than his obstinate refusals.
It seemed to me a fascinating and creative way to reflect on social interactions with a bureaucrat who was unaware of how, through his own efforts—which he seemed to consider praiseworthy—he became a caricature!
The artwork, with its vivid imagery of the Bastien and its complex, almost hypnotic text, allowed me to reflect the obsequious yet detached nature of the character.
The description of a creature lurking in the shadows, feeding off others while cloaked in a false assurance, precisely symbolizes a technocrat operating within a rigid, self-centered system, oblivious to the real-world impact from which he seemed to believe he was absent.
The use of exaggerated features like bulging eyes and sharp teeth adds a satirical touch, highlighting the absurdity and potential threat of such a personality.
This is intended as an artistic statement, one that, I hope, leaves traces, I wish to be indelible.
