L’ARTRIUM de Bourjoi, ouvrier artiste d’Hochelaga
Je suis d’Hochelaga-Maisonneuve. Socialement, j’ai vécu plusieurs profils de vie depuis que j’ai délibérément choisi de devenir artiste à l’âge de dix ans.
En 1962, alors âgé de 12 ans, j’ai appris à lire les grands auteurs sous les encouragements de Robert Feger, un enseignant fraîchement débarqué de France. Dans sa classe, nous avons été 29 élèves à découvrir la science et bien d’autres sujets par les beaux livres, les spécimens de minéraux et les artéfacts archéologiques qu’il apportait en classe.
Je n’ai jamais cessé de lire goulûment. Je lis toujours un ou deux ouvrages par semaine, de même que quelques dizaines d’articles sur tous les sujets.
J’avais 16 ans lorsque j’ai suivi mes amis du quartier dans les usines et sur les chantiers de régions éloignées. Nous étions tous et sommes toujours fils et filles d’ouvriers. Je voulais voir l’artiste adulte qui sortirait de leurs usines-écoles, formé par la pratique des métiers qu’on y exerçait. Je voulais devenir un artiste comme eux.
J’y ai appris que l’ouvrier pense le monde en le construisant. L’ouvrier-artiste que cela a fait de moi pense le monde par l’art et construit le monde en produisant de la culture. J’ai appris et pratiqué plusieurs métiers dits ouvriers. Ce faisant, j’élargissais aussi mes apprentissages artistiques. Il n’y a que durant la décennie 80 que j’ai limité ma recherche artistique à un seul médium : la sculpture de bronze. J’ai alors appris à maîtriser avec précision les 16 étapes de la réalisation d’une telle sculpture.
Durant les 25 années qui ont suivi, j’ai participé en autodidacte à plus de 75 expositions de groupe ou en solo.
(Murale en Hommage aux ouvriers de la Vickers, 96cm x 196cm, 1989. Présentement au siège social de la CSN).
Ce n’est qu’à 40 ans, après un divorce et la naissance de deux enfants, deux filles extraordinaires, que je me suis inscrit à l’Université du Québec à Montréal, l’université des ouvriers, afin de valider mon parcours artistique. J’y ai fait un baccalauréat en arts, suivi d’une maîtrise en enseignement des arts, que j’ai obtenue à 46 ans.
J’avais alors vécu la vie de l’ouvrier durant 25 ans.
Par la suite, durant six ans, j’ai vécu la vie de l’étudiant pour ensuite devenir enseignant en arts plastiques. Chemin faisant, je n’ai jamais cessé mon oeuvre artistique.
J’ai enseigné à temps partiel au primaire. De 55 à 65 ans, j’ai enseigné les arts plastiques au secteur adaptation scolaire au secondaire. Mon parcours ouvrier m’a également mené, durant trois années, à être enseignant-ressource en robotique, une activité parascolaire offerte à l’école où j’enseignais. Au cours de mes quatre dernières années d’enseignement, je donnais aussi le cours de multimédia au secteur régulier.
Je suis maintenant à la retraite de l’enseignement et je découvre mon nouveau profil social. Je suis cependant très loin de la retraite de l’art. Le cœur qui bat dans ma poitrine bat au rythme de l’art.
De l’enseignement, j’ai retenu la responsabilité de la transmission de la sagesse et du savoir qui vient avec l’expérience. Ouvrier-artiste, je suis comme mes premiers maîtres ouvriers matérialistes, comme cela s’entendait avant Socrate.
Né infirme, je sais très bien que, quels que soient les fantasmes cérébraux, les membres manquants ne repoussent pas. Aucun homme tombant d’un échafaudage élevé ne s’est jamais mis à voler.
C’est de cette vigie que j’écris des textes qui se retrouvent sur mon blogue, https://bourjoi.com/blogue/, et dans ma chronique du média collaboratif Quartier Hochelaga, http://www.quartierhochelaga.com/category/culture/ .
J’ai rencontré ma conjointe, Gaétane Couture, lorsque j’avais 45 ans. En 1998, nous avons cherché un lieu où nous installer définitivement. Je me disais alors, et j’y crois encore plus aujourd’hui, que c’est quand on a les moyens de quitter un quartier comme Hochelaga qu’il faut justement y rester et contribuer à son avenir.
Depuis notre arrivée dans le quartier, Gaétane s’occupe activement de cultiver le verdissement. Ses initiatives ont profondément modelé et amélioré l’aspect de notre coin du quartier.
Pour ma part, je cultive l’art et la culture. Notre résidence en bordure de rue est ceinturée d’un poème taillé dans l’aluminium. Le soir et le matin, il est lumineux.
Sur le terrain se trouvent plusieurs oeuvres monumentales. Matin et soir, les huit modules en bois de pin de Basilaire sculptent la lumière.
Sur une de mes œuvres j’ai inscrit « Là où je vis, je fais mon nid ». Sur une autre, également lumineuse : « Là où j’ai fait mon nid, je grandis ». Nous sommes maintenant, Gaétane et moi, à achever d’installer un ARTRIUM dans la cour arrière. Le terme est de Gaétane. Il est composé des mots « art » et « atrium », un terme romain qui désignait la pièce où l’on recevait les visiteurs. Cela sied bien à la place. ARTRIUM, là où se trouve l’art. Un endroit pour montrer l’art et la culture dans le sud-ouest, la zone d’ombre, du quartier Hochelaga.
L’année dernière, je voulais voir si un quartier ouvrier pouvait, de sa pulsion le poussant à construire le monde matériel, faire de l’art et de la culture.
Nous avons, Soudure René Thibault et ses ouvriers, la CSN et moi, réalisée une œuvre monumentale en acier Corten intitulée Pourquoi naître ?. L’oeuvre a reçu l’appui de Pierre Larivière, agent culturel de la maison de la culture Maisonneuve, du Père Jorge Muniz et de la fabrique de la paroisse de la Nativité-de-la-Sainte-Vierge, qui héberge l’œuvre, ainsi que du conseiller municipal d’Hochelaga, Éric Alan Caldwell.
Pour l’occasion, j’ai écrit: « Tous artistes. L’art, le premier art de tous est l’art de devenir … humain ». J’ai fait imprimer cette phrase sur plusieurs T-shirts.
L’ouvrier-artiste tient à réaliser certaines œuvres à la manière d’un ouvrier en faisant usage des métiers et matériaux avec lesquels notre monde matériel, le seul réel, a été construit. Je construis présentement un portail en acier soudé et vissé de 4 mètres de hauteur sur 5 mètres de largeur.
Ce portail reproduira l’arche d’une porte cochère comme il y en a plusieurs exemples sur la rue de Rouville, près de chez-nous.
Ce portail s’ouvrira sur l’ARTRIUM. De part et d’autre, j’ai inséré un madrier de pruche. Un troisième sera au-dessus de la porte. Ensemble, ils formeront un « H » majuscule, la première lettre de Hochelaga. Le reste sera couvert de poèmes modelés en fer ornemental.
Je crée et réalise mes œuvres au grand jour. La porte de mon atelier est toujours ouverte aux visiteurs. Ils sont plus de 300 par année à venir passer un moment avec l’ouvrier-artiste. Un autre profil, une autre manière de vivre en société pour mon (notre) quartier sans pareil.