Texte de la chronique de Bourjoi sur le site du média collaboratif Quartier Hochelaga
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LA FERMIÈRE

Il y a entre 25 000 et 35 000 ans de cela, nos ancêtres préhistoriques n’avaient ni toit, ni lois, ni écoles, et s’exprimaient sans nuances vocales. Nous disons même qu’ils ne savaient que grogner. Malgré tout, ces populations primitives nous ont laissé des trésors d’art représentant ce qu’elles ressentaient comme le plus important. Plus de 350 grottes ont, dans la noirceur, préservé leurs peintures jusqu’à nous. Les plus connues sont Lascaux, en France, et Altamira, en Espagne. Comme le dit David-Lewis Williams dans L’Esprit dans la grotte: La conscience et les origines de l’art, qu’y faisaient-ils, si ce n’est recréer derrière les orbites de pierre ce dont ils prenaient conscience derrière leurs orbites d’os ? Dans ces grottes nous retrouvons l’art à son meilleur. L’art qui vient directement de la créativité humaine. L’art qui n’est pas à la remorque d’une théorie, d’un programme ou d’une recette comme si cela n’était qu’un nouveau plat sur le menu.

Durant des dizaines de siècles, jusqu’à l’apparition des grandes civilisations, l’art est resté spontané. Il accompagnait les vivants au quotidien et les morts dans l’éternité tout en représentant la part de la nature humaine autrement imperceptible.

Avec l’avènement des empires et civilisations, l’Égypte antique par exemple, les artistes ont dû, sur commande, servir la gloire des élites, qu’elles aient été politiques, religieuses ou autres. L’art a également servi de mémoire. Les fresques et les vitraux des églises racontaient des histoires qu’il fallait retenir. L’art qui a traversé le temps est témoignage de ces sociétés. Kenneth Clark, dans son ouvrage intitulé Civilisations, précise que quinze des années les plus artistiquement productives de Michel-Ange, Leonard de Vinci et quelques autres dans une seule ville, Florence, ont suffi à faire éclore la Renaissance. Michel-Ange aura été le premier artiste créateur de style et de caractère singulier.

En 1850, Courbet a peint Un enterrement à Ornans. Une oeuvre de grand format habituellement destiné aux tableaux d’histoire. L’art a alors cessé de n’être qu’affaire de bon goût et de leçons d’histoire. Il est redevenu, pour quelque temps, l’expression de tous pour tous comme il l’était à l’origine.

Depuis quelques années, l’art doit être contemporain. Il redevient rapidement affaire de bon goût et de fortune. Autrement, il est qualifié d’art mineur, ou pire, associé à un passe-temps. Pour le constater, il suffit d’examiner les critères des programmes de bourses gouvernementaux ou le fichier de l’intégration de l’art à l’architecture, art public s’il en est, qui n’admet dans ses dossiers que les artistes, quelle que soit leur carrière, ayant exposé dans des lieux au nombre restreint désignés par eux. Le vocable « art public » signifie-t-il seulement « art présent sur la place publique » ?

Apparaissant soudainement sur la place publique et disparaissant aussi rapidement, il y a bien le nécessaire art urbain, communément appelé street art. Sa nature étant éphémère, il ne saurait être suffisant. Il n’est pas le durable citoyen culturel qu’est l’incontournable et prestigieuse oeuvre nommée La fermière, d’Alfred Laliberté, que tous dans notre quartier connaissent intimement. Plusieurs enfants aiment même s’amuser dans l’eau de sa fontaine. Fidèle à notre quartier, La fermière nous accompagne depuis quelques générations et sera là pour longtemps encore. Ce qui n’a pas été le cas de La joute de Jean-Paul Riopelle qui n’avait rien à faire avec nous. Après quelques courtes années coincée derrière un mur de béton sans avoir jamais bien fonctionné, La joute nous a finalement quittés avec grand fracas.

LaFermiereTotal

Le quartier Hochelaga-Maisonneuve est un quartier jouissant d’une double nature sociale. Hochelaga, le quartier de la classe laborieuse et Maisonneuve, au patrimoine immobilier bourgeois. Selon moi, l’imposante sculpture d’Alfred Laliberté est, en ce sens, emblématique. Elle représente des valeurs, une identité, un art qu’il faut chérir. Elle ouvre des portes sur le sens de l’art qui devrait se trouver sur la place publique d’un bout à l’autre du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Une mixité artistique originale qui devrait occuper une place venant du quartier pour le quartier, au moins autant que nos ancêtres arrivaient à le faire il y 30 000 ans.

 

Révision des textes: Valentine B (info@bourjoi.com)

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