Texte de la chronique de Bourjoi sur le site du média collaboratif Quartier Hochelaga
http://www.quartierhochelaga.com/category/culture/
TÉLÉPATHIE LITTÉRAIRE
L’artiste peut aussi bien s’exprimer par les arts visuels que la danse ou l’écriture. Écrire est un art universel. Il est la parole mise en forme de toutes sortes de manières. L’écriture est poésie, romans, récits historiques, études édifiantes ou biographies pour n’en nommer que quelques-uns.
Tous les mammifères sont dotés d’un allèle génétique appelé FOXP2. Ce morceau de code génétique lorsqu’il est en nombre suffisant contrôle la formation du larynx, des poumons et de plusieurs parties du cerveau. L’aire de Wernicke et l’aire de Broca situés près de l’oreille gauche sont les plus importantes. Ce sont ces deux régions de notre cerveau qui nous permettent d’émettre les sons modulés que sont les mots et les phrases. L’imperceptible FOXP2 est devenu des milliers de mots pour nommer les choses et les êtres. Locuteur humain, le FOXP2 a pris la forme de centaines de langues et dialectes.
Cela a fait de nous les grands bavards du règne animal. Sans arrêt, par la parole, nous nous livrons à nous-mêmes et aux autres et l’autre se livre à nous. Françoise Dolto ne disait-elle pas que Tout est langage ? (1995). Est-ce pour cela que la télévision, médium de l’image, est rapidement devenue une suite de shows de chaises où règne la parole ? (talking heads) Que sont les téléromans si ce ne sont des dialogues mis en images ? Qu’est le téléphone dit intelligent si ce n’est un bavard universel ? Que dire de Facebook et de Twitter?
Il y a près de 3000 ans que la parole est graduellement devenue écriture. Le sanskrit et le cunéiforme en sont les premiers exemples. Depuis l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, en 1454, la parole devenue écriture s’est fait encre, papier et reliure. Ils en sont le sang et la chair. Comme pour l’humain, l’essentiel est à l’intérieur.
Maman n’a jamais fréquenté l’école et pourtant, elle a réussi à apprendre à lire et écrire par ses propres moyens. La parole magnifiée par la lecture et l’écriture est importante à ce point!
En 1962, j’étais en 7e année à l’école Champlain. Robert Féger, un enseignant titulaire de notre classe venant de France, nous a fait lire L’Étranger de Camus et Le Petit Prince de Saint-Exupéry, entre autres. Cet enseignant apportait en classe des beaux livres en couleur sur toutes sortes de sujets. Je devais marcher de la rue LaSalle, où nous habitions, jusqu’à l’école située à près de 4km de là à l’intersection des rues Logan et Parthenais. Il y avait une bibliothèque scolaire près de l’école. Fréquemment, j’arrêtais emprunter un livre. J’ai ainsi lu autant des Contes et légendes que des livres de science ou des manuels techniques. Tous les sujets étaient bons. Je lisais comme si ma vie en dépendait. Je le fais toujours.
Nous avons longtemps rêvé de pouvoir voler et posséder des capacités télépathiques. Lorsque la vie a eu besoin de voler, elle a de sa substance modelé les oiseaux. La nature de l’espèce humaine n’est pas celle de l’oiseau. Pour voler, nous avons dû inventer l’avion.
Nous n’avons jamais cessé de rêver de télépathie. Cela aussi, comme l’avion, nous avons dû l’inventer.
À 12 ans, j’ai cru trouver dans les livres la sagesse que je ne trouvais pas dans mon milieu. Trouver les intelligences qui pouvaient nous venir en aide, à moi et à ma famille. Les livres me servaient et me servent toujours de mentors. En quelques heures, j’apprends ce que des esprits bien meilleurs que le mien ont découvert. Je souhaite à tous de le découvrir. Lire revient à accumuler la sagesse de plusieurs vies.
Depuis quelque temps, le livre devient livrel, ebook numérique. Certains s’en plaignent. Le papier et l’encre leur manqueraient. Je ne le comprends pas.
En physique, la sublimation est un phénomène bien connu. Il s’agit du passage de l’état solide à l’état gazeux. La glace en vapeur par exemple. L’écriture est une forme d’art sublime. La matière, la vie, une vie, 80 ans d’expériences intenses, tout ce qui fait le réel devient récit fabuleux qui nous prend aux tripes de notre imaginaire.
Cela fait longtemps que je ne lis plus l’encre et le papier. Cela fait longtemps que, lorsque je lis, j’accède momentanément à l’esprit d’un auteur. Quelques heures durant lesquelles je me laisse porter par une autre imagination, un autre monde intérieur qui devient un peu le mien. C’est une forme de télépathie entre deux univers psychiques. Chaque lecture m’aide à vivre un peu mieux, un peu plus.
Lorsque je cite un ouvrage, cela n’est pour moi qu’une occasion de présenter un ami, un mentor dont j’ai été, pour un temps, le fils spirituel. De ces lectures, je retiens les enseignements. Cela ressemble beaucoup à ce que nous retenons avec ravissement de nos conversations intimes avec nos amis depuis des centaines de générations.
Révision de texte: Valentine B. (info@bourjoi.com)