Journées de la culture

Aucun des lecteurs de Quartier Hochelaga ne l’ignore, je suis originaire d’Hochelaga. J’y ai grandi, j’y ai expérimenté mes premiers élans amoureux, j’y ai trouvé des amitiés indéfectibles. Malgré une culture livresque plus qu’abondante, je m’identifie totalement au quartier. Depuis l’âge de 12 ans, je lis comme je respire. En ce moment, sur la tablette que je porte toujours avec moi, je lis The War On Science[1] et L’esthétisation du monde[2]. Il en a toujours été ainsi. Jamais l’art et la culture sans la science et la connaissance. Je ne supporterais pas de vivre avec un cœur sans intelligence ou de l’intelligence sans le cœur.

En 1998, ma compagne Gaétane Couture et moi cherchions un lieu attachant où nous pourrions vivre et y installer un atelier. Des mois durant, nous avons quadrillé l’île de Montréal dans tous les sens.

Puis nous nous sommes retrouvés dans le quartier Hochelaga. Il y avait deux bâtiments à vendre sur la rue de Rouville. L’un d’eux était à l’intersection des rues de Rouville et Préfontaine, le deuxième était au coin de la rue Darling.

C’est en nous rendant de la rue Darling à la rue Préfontaine et en passant devant la maison face au parc de Rouville que nous avons remarqué la pancarte de ReMax fixée sur le mur..

Il s’agissait d’un duplex construit en 1929 et enregistré à la ville en 1930. La charpente était droite et carrée, une construction solide. J’ai dit à Gaétane que c’était une bonne maison qui aurait besoin de certains aménagements cosmétiques. Considérant tous les travaux que nous avons dû y faire depuis et les quelques travaux qu’il reste à faire, Gaétane se moque parfois de moi, l’oeil goguenard, en appuyant sur le mot « cosmétique ».delabrementarriere

Cette belle résidence art déco est construite en bordure de rue comme cela se faisait à l’époque du village Hochelaga. L’hôtel de ville d’Hochelaga était là où est situé le parc Dézéry au sud de Sainte-Catherine, à un jet de pierre de chez nous.

Comme cela se faisait à l’époque, les dépendances et les bâtiments secondaires étaient construits autour du terrain. C’est pour cela qu’il y plusieurs portes cochères sur notre rue. Derrière la maison, autour du terrain, il y avait plusieurs bâtiments délabrés.

Pour un artiste en arts visuels, l’ensemble représentait un potentiel extraordinaire; mais comme dit Gaétane, nous nous sommes acheté du travail. Beaucoup de travail. Pour ma part, je me disais que lorsqu’on a grandi dans un quartier comme Hochelaga, lorsqu’on a quelques ressources pour le quitter, c’est justement le meilleur moment pour y rester. C’est à ce moment que Gaétane, qui a grandi près de la Celanese à Drummondville, a réalisé qu’elle retrouvait dans Hochelaga les valeurs du quartier ouvrier de son enfance.

À l’origine, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la place était occupée par une boulangerie. Lorsque nous avons acheté, le bâtiment de deux étages derrière la maison servait d’atelier à un machiniste.

Une large part du terrain non aménagé était couverte d’asphalte et de béton. Pas un seul brin d’herbe n’y poussait. Plusieurs décennies de négligence en avaient fait un endroit minéral, disparate, sale et poussiéreux. L’été, un îlot de chaleur suffoquant. J’ai rapidement découpé l’asphalte et le béton, démoli les hangars délabrés, rénové l’écurie pour en faire un atelier et construit un deuxième atelier en remplacement du garage.

cour2016

Gaétane s’est activement attelée au verdissement. Elle le fait toujours. Elle a obtenu l’installation par la Ville d’un jardin collectif sur la rue Provost. Les services horticoles de l’arrondissement fleurissent superbement le parc de Rouville. Nous avons planté des cèdres et plusieurs arbres sur notre terrain.

Le principe qui nous guide est d’une grande simplicité. Il se résume par « Là où je vis, je fais mon nid. Là où j’ai fait mon nid, je grandis. Là où je grandis, je deviens. »

Nous ne sommes pas des chasseurs-cueilleurs nomades. Pierre qui roule n’amasse pas mousse. Le quartier Hochelaga est notre village.

Patiemment, un peu plus chaque jour comme l’ouvrier sait le faire mieux que personne, nous construisons le monde matériel autour de nous. Nous construisons en étant convaincus que c’est ainsi qu’une société se construit. Une personne, un couple, une famille, un groupe d’amis à la fois, patiemment. Un petit bout de trottoir, une façade de maison à la fois. C’est pour cela que j’ai installé une sculpture poème lumineuse qui ceinture la maison. Il faut s’accrocher. J’y suis, j’y reste. S’associer entre amis, entre familles, entre voisins et laisser sa marque sur chaque brique, chaque cadre de fenêtre, chaque cadre de porte.

Durant sept ans, Gaétane a organisé une fête de quartier. Lors de la dernière, nous avons reçu plus de 350 voisins, fait cuire 84 douzaines d’épis de maïs et encore plus de hot-dogs. Il y avait des clowns et des chanteurs spontanés. Le maire de l’époque, Pierre Bourque, y était, ainsi que monsieur Dompierre, alors conseiller municipal d’Hochelaga, et monsieur Ménard.

Malheureusement, cela était devenu très compliqué à organiser pour une seule personne. Il fallait transiger avec les pompiers, les services de sécurité et la Ville, qui exigeait des assurances pour l’événement. Plusieurs mois de préparation pour obtenir une pléthore de permissions.

Depuis 2003, nous participons plutôt aux Journées de la culture. Durant trois jours, la porte de mon atelier est grande ouverte. Mais, comme je l’ai souvent dit, elle l’est toujours de toute manière. Je reçois près de 400 visiteurs par année qui viennent voir ce que peut bien faire l’ouvrier-artiste d’Hochelaga.

Une porte cochère symbolique est maintenant installée entre la maison et mon atelier. C’est un portail sculptural fait d’acier et de madriers de pruche que j’ai récupérés. Gaétane et moi tenons à préserver le plus possible l’esprit et l’histoire des lieux. Le portail deviendra un voile poétique en acier ornemental.

arriere2016           La musique est le thème des Journées de la culture de cette année. Pour l’occasion, j’ai offert un atelier de production de macarons. Les visiteurs ont dessiné eux-mêmes leur macaron, l’assembler et partir avec. Le carillon musical que les enfants ont beaucoup aimé et avec lequel ils se sont beaucoup amusés, lors de la Grande Fête du Lien Vert le 30 juillet était sur place.

[1]
[1] OTTO, Shawn Lawrence, The War on Science: Who’s Waging It, Why It Matters, What We Can Do About It, 2016, 514 pages.

 

[2]
[2] LIPOVETSKY, Gilles et SERROY, Jean, L’esthétisation du monde: vivre à l’âge du capitalisme artiste, 2013, 496 pages.

 

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