Durant cinq belles années, Quartier Hochelaga, a été pour moi un sublime creuset de matière littéraire. Quartier Hochelaga n’est plus. Ce qu’il en reste n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été. J’y tenais une chronique sous le titre de trois doigts en plus. Je reprends en les modifiant un peu lorsque cela semble nécessaire, les textes que j’y avais publiés sur mon blogue à bourjoi.com.

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Certains évènements, traits de caractère ou physiologiques, nous marquent pour la vie. D’autres nous marquent tous les jours de notre vie. Les trois doigts en + du nom de la chronique que j’y tenais est un de ceux-là.

Il fut un temps ou certains voyaient un handicap ou plutôt un handicapé en mes trois doigts de la main gauche.

Il y a bien sûr confusion entre infirme et handicapé.

Pour ce qui est de l’infirmité, cela est permanent. Il n’y a pas de remède. Je suis né ainsi, cela fait 70 ans maintenant. Pour toujours jusqu’à mon dernier souffle, je serai un infirme.

Même, pour moi, cette infirmité, mon infirmité reste étrange. Cela n’est jamais devenu banal, jamais normal. Toutes les mains que je vois, toutes les mains faites de chair et de muscles que je serre et empoigne sont entières.

Cette main, ma main, l’avant-bras infirme ne semblent pas constitués de chair et de muscles. Ce ne sont que des os attachés ensemble, des os secs et maigres sans aucune fluidité dans leurs mouvements.

Je ne sais que m’en servir pour assister l’autre main qui elle, est charnue, musclée, organique.

Je suis né en 1950. Le vaccin contre la polio n’existait pas encore. Mon entourage, mes voisins me croyaient contagieux, certains associaient infirmité physique et idiotie mentale. Ils faisaient de moi un enfant empli de plusieurs formes de gênes. Les enfants du voisinage me fuyaient.

Cette infirmité à laquelle je m’adaptais tout bonnement, comme on le fait de toute morphologie héritée à la naissance, est devenue à travers les yeux des autres, des commentaires parfois insultants souvent désespérants de la société, un handicap.

Aujourd’hui, on ne parle plus d’infirmité. Il ne reste plus que des handicapés de toutes sortes. Est-ce mieux, est-ce pire ? Je ne saurais le dire. Pour moi personnellement, je préfère l’infirmité qui ne repose sur aucun jugement social, aucun préjugé, à laquelle il suffit de s’adapter.

Les adultes autour de moi, à l’exception de maman qui ne savait qu’aimer sans condition, disaient tous que je ne pourrais jamais terminer d’études, je n’aurais ni emploi ni famille à moi. Je ne serais pas handicapé seulement d’une main, mais de la vie elle-même.

Les adultes de la fin des années 50 de mon groupe social ne voyaient pas d’autre alternative. Ce qui n’était qu’une infirmité était une exclusion. Une barrière entre tous et moi. Était-ce différent ailleurs ? Je ne sais pas. Je ne vivais que là avec ma famille.

La télé est entrée tôt à la maison. En 52 ou 53. Maman aimait la musique, admirait la vie des musiciens tels Guershwin, Tchaikovsky et bien d’autres qu’elle voyait à la télé. J’étais parfois assis près d’elle. Elle me transmettait sa fascination pour ces êtres d’exception.

J’étais infirme, exceptionnel, pas glorieusement exceptionnel, plutôt exceptionnellement différent. Je ne pouvais devenir musicien, même si la musique me transportait ailleurs, me transporte toujours. Papa était manœuvre et son père machiniste. Maman couturière et son père menuisier.

Infirme et fils d’ouvriers, je devais devenir artiste de la matière, artiste de métier pour ne plus, un jour, être considéré handicapé. Durant 25 ans j’ai fait mes classes en usines et sur les chantiers tout en étant obsédé de lecture et présenté d’innombrables œuvres lors de 75 expositions. Je suis devenu ainsi l’ouvrier artiste et après avoir finalement obtenu un baccalauréat et une maîtrise à 46 ans, un enseignant en arts plastiques en adaptation scolaire au secondaire.

Je n’ai plus de handicap. Plus personne ne semble le croire. Je les ai surmontés tous : les études, les emplois, la famille. Il ne me reste plus que l’infirmité. Ce qui n’est pas grand-chose en soi, puisque c’est connu, l’être humain s’adapte à tout.

Les seuls vrais handicaps sont les préjugés, l’ignorance, l’indifférence, l’exclusion et la solitude …

Le handicap n’étant plus, il ne reste que l’infirmité , ou les 3 doigts en + qui ont fait de moi un artiste.

©2024 Leopol Bourjoi bourjoi.com

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