English version follows.
En tant qu’artiste ayant grandi dans le quartier emblématique d’Hochelaga-Maisonneuve, l’élaboration de la sculpture Pourquoi naître ? s’est imposée comme une nécessité presque organique, une manifestation inévitable de la réalité sociale et historique qui façonne l’espace collectif de ce quartier dans lequel j’ai grandi.
En ce sens, cette œuvre s’est construite à travers une dynamique intrinsèque, en s’alimentant de la participation active des citoyens. Elle incarne à la fois la matérialisation des désirs collectifs et une interrogation sur l’identité partagée. Le projet lui-même, bien plus qu’une simple initiative artistique, s’apparente à une forme de battement de cœur inscrit dans le tissu social d’un lieu chargé d’histoire, un lieu profondément ancré dans l’expérience ouvrière, avec ses luttes, ses triomphes et ses résistances.
La sculpture Pourquoi naître ?, telle que je l’ai imaginée, pourrait être interprétée comme un arbre majestueux. Cet arbre, métaphore d’une force vitale en pleine expansion, représente l’idée d’une croissance soudaine et spectaculaire, comme si la communauté elle-même atteignait, en ce point de l’histoire, une sorte de maturité essentielle. Cette œuvre se veut une sorte de révélateur, à la fois témoin et acteur de la transformation urbaine. La structure elle-même est un point de repère, une balise dans la géographie changeante du quartier, rappelant les totems ou les croix de chemin qui marquaient autrefois les intersections, ces lieux de passage et de croisement qui définissent les transitions et les tournants historiques.
En tant qu’artiste-ouvrier, titre qui m’a été attribué par ma communauté et qui me relie aux valeurs du monde ouvrier dans lequel j’ai grandi, j’ai ressenti le besoin de prolonger cette réflexion artistique à travers la poésie. La poésie, comme langage alternatif, permet de questionner les dimensions existentielles et philosophiques du labeur.
Le poème, gravé dans l’acier même de la sculpture, est une interrogation profondément humaine qui résonne avec les questions de labeur, de survie et de collaboration collective. Il s’agit d’un cri existentiel, à la fois brute et philosophique, qui cherche à capturer l’essence de l’expérience ouvrière :
Pourquoi naître, si ce naît pour vivre ?
Pourquoi le travail, si ce naît pour rester en vie ?
Pourquoi ouvrier, si ce naît pour construire le monde à deux ?
Comment vivre, si ce naît ensemble ?
Ces lignes, découpées dans l’acier, donnent une dimension supplémentaire à l’œuvre, fusionnant texte et matière, esprit et forme, tout en créant une interface où le discours personnel devient une déclaration publique.
Elles accompagnent un dispositif lumineux évolutif, où les couleurs changeantes symbolisent la transformation perpétuelle du quartier. La lumière, émanant de l’intérieur de la sculpture, offre à la fois une illumination littérale et symbolique, capturant la pulsation vivante du quartier. Ce jeu de lumières et de formes confère à l’œuvre une qualité à la fois éphémère et pérenne, dans laquelle les temporalités se chevauchent.
La structure de l’œuvre elle-même est un objet d’analyse multidimensionnel, renvoyant à une série de symboliques complexes. L’engrenage central, avec ses sept rayons, évoque le cycle de la semaine et, de manière plus large, celui du temps en tant qu’élément structurant la vie ouvrière. Les 52 dents de l’engrenage symbolisent les 52 semaines de l’année, soulignant encore une fois la manière dont le temps, le travail et la répétition s’entrelacent pour créer une forme de continuité. Cette temporalité cyclique est renforcée par la base circulaire de la sculpture, large de 52 pouces, surmontée d’une plaque plus mince de 24 pouces de diamètre, un chiffre qui rappelle les 24 heures d’une journée. Ce système de mesures n’est pas simplement utilitaire, mais il est plutôt conçu pour ancrer l’œuvre dans une réflexion temporelle plus large, une exploration des structures invisibles qui régulent et rythment la vie quotidienne.
La dimension artisanale de l’œuvre ajoute un autre niveau de signification. Le processus de fabrication, dirigé par André Bourgeois, un maître contremaître, a nécessité l’utilisation de techniques traditionnelles de rivetage, évoquant des pratiques ancestrales qui sont profondément enracinées dans l’histoire ouvrière du quartier. Chaque rivet en acier, au nombre de 12, représente à la fois les 12 mois de l’année et les 12 heures de l’horloge, faisant écho à l’idée de régularité et de constance dans le labeur, mais aussi dans la marche implacable du temps.
L’aspect central de la sculpture, mesurant 8 pieds de hauteur, n’est pas un choix arbitraire. Il fait référence aux 8 heures d’une journée de travail standard dans l’industrie ouvrière, mais il évoque également les matériaux de base utilisés dans la construction des logements ouvriers, comme les 2×4 en bois ou les feuilles de gypse. Ce choix renforce l’idée que l’œuvre est enracinée dans une réalité matérielle spécifique, en relation directe avec les conditions sociales et économiques qui ont façonné le quartier.
Le chemin de fer, qui a joué un rôle crucial dans le développement historique d’Hochelaga-Maisonneuve, est également intégré dans la sculpture à travers la forme symbolique d’une traverse de chemin de fer, incorporée dans la partie supérieure en forme de “V” version altéré du “X”. Ce symbole fait écho à la fois au logo de Terre des Hommes et au signe de paix universelle, mais ici inversé pour marquer l’union entre les habitants du quartier et leur ouverture vers l’avenir.
Le choix de l’acier Corten, matériau connu pour sa robustesse et sa patine naturelle, n’est pas anodin non plus. La première couche d’oxydation, avec sa teinte rougeâtre, protège la structure de l’érosion, tout en symbolisant la résilience des travailleurs. Cette patine, formée au contact des éléments, devient une métaphore du labeur quotidien, du temps qui passe et des luttes invisibles qui forgent une communauté.
Les trois poutrelles en acier, loin d’être des éléments standard, ont été découpées dans une plaque unique et soudées à la main par Gabriel, un soudeur renommé pour son savoir-faire, dont le nom, curieusement, rappelle celui de l’archange portant la lumière dans la tradition iconographique. Ce choix, d’une part pragmatique, renforce également la dimension spirituelle de l’œuvre, ancrant le travail manuel dans une symbolique de transcendance et de salut.
Ce projet a bénéficié du soutien financier du Comité Central du Montréal Métropolitain de la CSN, dont plusieurs membres vivent dans le quartier. Ce soutien renforce l’idée que cette œuvre est profondément ancrée dans une dynamique communautaire, où l’art devient une expression collective, un miroir des valeurs partagées et des luttes communes.
Au sommet de la sculpture se trouve une paire de gants d’ouvrier, usés par le travail, trempés dans la cire et reproduits en bronze selon la technique de la cire perdue. Ces gants, figures de l’effort manuel et de la persévérance, sont surmontés d’un casque de sécurité, doré à la feuille d’or. Cette combinaison d’éléments, à la fois humble et précieux, évoque la dignité du labeur humain, une forme de sacralisation de la condition ouvrière. Le casque, par son éclat doré, fait également écho aux églises du quartier, renforçant le lien entre le sacré, l’art et la communauté.
La sculpture Pourquoi naître ?, œuvre à la fois ancrée dans la mémoire collective et résolument tournée vers l’avenir, agit comme un citoyen culturel.
Depuis son installation le 1er mai 2018 devant mon atelier sur la rue de Rouville, Pourquoi naître ? continue de témoigner des valeurs historiques et sociales d’Hochelaga-Maisonneuve, tout en évoluant avec le quartier.
Accessible à tous, elle invite à une réflexion sur le temps, la communauté et les transformations inévitables qui façonnent nos vies.
À propos de l’artiste : https://bourjoi.com/bourjoi-2024/
https://mesquartiers.wordpress.com/2019/07/14/hochelaga-2019/
Mes quartiers, ma ville est un blogue présentant des circuit de visites dont celui du Quartier Hochelaga mentionnant la sculpture Pourquoi Naître? qu’on peut voir devant l’atelier de Bourjoi qui est toujours prêt à recevoir les visiteurs.
Pourquoi Naître? Le patient vigile, le citoyen culturel témoigne des valeurs historiques du quartier Hochelaga. Depuis le 1er mai 2018 la sculpture, accessible au public, est devant l’atelier de l’artiste sur la rue de Rouville. Bourjoi artiste ouvrier du quartier Hochelaga est toujours prêt à vous recevoir. Le hasard a fait que la résidence et l’atelier de l’artiste soient au même endroit où en 1930, selon l’atelier d’Histoire Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, se situait le coeur du quartier ouvrier sur la rue de Rouville entre les rues Saint-Germain et Dézéry.
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English version : Pourquoi naître? (Why being born ?)
As an artist who grew up in the iconic neighborhood of Hochelaga-Maisonneuve, the creation of the sculpture Pourquoi naître? emerged as an almost organic necessity, an inevitable manifestation of the social and historical reality that shapes the collective space of this neighborhood where I was raised.
In this sense, this work developed through an intrinsic dynamic, fueled by the active participation of the citizens embodies both the materialization of collective desires and a questioning of shared identity. The project itself, much more than a mere artistic initiative, resembles a kind of heartbeat woven into the social fabric of a place rich in history—a place deeply rooted in the working-class experience, with its struggles, triumphs, and resilience.
The sculpture Pourquoi naître?, as I conceived it, could be interpreted as a majestic tree. This tree, a metaphor for a vital force in full expansion, represents the idea of sudden and spectacular growth, as if the community itself had reached, at this point in history, a kind of essential maturity. This work aims to serve as a sort of revelation, both as a witness and actor in the urban transformation. The structure itself stands as a landmark, a beacon in the changing geography of the neighborhood, reminiscent of the totems or roadside crosses that once marked intersections—these places of passage and convergence that define transitions and historical turning points.
As a “worker-artist,” a title given to me by my community and one that ties me to the values of the working-class world in which I grew up, I felt the need to extend this artistic reflection through poetry. Poetry, as an alternative language, allows one to question the existential and philosophical dimensions of labor.
The poem, engraved in the very steel of the sculpture, is a profoundly human inquiry that resonates with questions of labor, survival, and collective collaboration. It is an existential cry, both raw and philosophical, that seeks to capture the essence of the working-class experience:
Pourquoi naître, si ce naît pour vivre ?
Pourquoi le travail, si ce naît pour rester en vie ?
Pourquoi ouvrier, si ce naît pour construire le monde à deux ?
Comment vivre, si ce naît ensemble ?
Why be born, if not to live?
Why work, if not to stay alive?
Why be a worker, if not to build the world together as them?
How to live, if not as one?
These lines, cut into the steel, add another dimension to the work, fusing text and material, spirit and form, while creating an interface where personal discourse becomes a public statement.
They accompany an evolving lighting installation, where changing colors symbolize the ongoing transformation of the neighborhood. The light, emanating from within the sculpture, offers both literal and symbolic illumination, capturing the living pulse of the neighborhood. This interplay of light and form gives the work a quality that is both ephemeral and enduring, in which temporalities overlap.
The structure of the work itself is a multidimensional object of analysis, referring to a series of complex symbols. The central gear high on the central part of the sculpture, with its seven spokes, evokes the cycle of the week and, more broadly, time as an element structuring working-class life. The 52 teeth of the gear symbolize the 52 weeks of the year, once again highlighting the way in which time, labor, and repetition intertwine to create a form of continuity. This cyclical temporality is reinforced by the circular base of the sculpture, 52 inches wide, topped by a thinner plate measuring 24 inches in diameter—a number that recalls the 24 hours of a day. This system of measurements is not merely utilitarian but rather designed to anchor the work in a broader temporal reflection, an exploration of the invisible structures that regulate and pace daily life.
The artisanal dimension of the work adds another layer of meaning. The fabrication process, directed by André Bourgeois, a master foreman, required the use of traditional riveting techniques, evoking ancestral practices deeply rooted in the working-class history of the neighborhood. Each steel rivet, numbering 12, represents both the 12 months of the year and the 12 hours of the clock, echoing the idea of regularity and constancy in labor, but also in the relentless march of time.
The central beam of the sculpture, measuring 8 feet in height, is not an arbitrary choice. It references the 8 hours of a standard workday in the industrial workforce, but it also evokes the basic materials used in the construction of working-class housing, such as 2×4 wood beams or gypsum sheets. This choice reinforces the idea that the work is grounded in a specific material reality, directly related to the social and economic conditions that have shaped the neighborhood.
The railroad, which played a crucial role in the historical development of Hochelaga-Maisonneuve, is also integrated into the sculpture through the symbolic form of a railway tie, incorporated into the upper V-shaped part of the “X” symbol. This symbol echoes both the Terre des Hommes logo and the universal peace sign, but here inverted to mark the union of the neighborhood’s inhabitants and their openness to the future.
The choice of Corten steel, a material known for its robustness and natural patina, is not arbitrary either. The first layer of oxidation, with its reddish hue, protects the structure from erosion while symbolizing the resilience of workers. This patina, formed through contact with the elements, becomes a metaphor for daily labor, the passage of time, and the unseen struggles that forge a community.
The three steel beams, far from being standard elements, were cut from a single plate and welded by hand by Gabriel, a welder renowned for his skill—whose name, curiously, is reminiscent of the archangel bearing light in iconographic tradition. This choice, pragmatic on one hand, also reinforces the spiritual dimension of the work, anchoring manual labor in a symbolism of transcendence and salvation.
This project received financial support from the Comité Central du Montréal Métropolitain of the CSN, with several members residing in the neighborhood. This support strengthens the idea that this work is deeply rooted in a community dynamic, where art becomes a collective expression, a reflection of shared values and common struggles.
At the top of the sculpture sits a pair of worker’s gloves, worn by labor, dipped in wax, and reproduced in bronze using the lost-wax technique. These gloves, symbols of manual effort and perseverance, are topped by a safety helmet gilded in gold leaf. This combination of elements, both humble and precious, evokes the dignity of human labor—a form of sanctification of the working-class condition. The helmet, with its golden shine, also echoes the churches of the neighborhood, reinforcing the connection between the sacred, art, and the community.
The sculpture Pourquoi naître?, a work both anchored in collective memory and resolutely forward-looking, acts as a cultural citizen.
Since its installation on May 1, 2018, in front of my studio on rue de Rouville, it continues to bear witness to the historical and social values of Hochelaga-Maisonneuve while evolving with the neighborhood. Accessible to all, it invites reflection on time, community, and the inevitable transformation that shapes our lives.
About the artist : https://bourjoi.com/bourjoi-2024/