Texte de la chronique de Bourjoi sur le site du média collaboratif Quartier Hochelaga
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Les ouvriers

 

Selon Malcolm Gladwell, la maîtrise exceptionnelle d’un art, d’un sport ou d’un métier ne serait pas due à un talent d’origine mystérieuse. L’excellence viendrait de la passion et de 10 000 heures de pratique intense.

Depuis quatre ou cinq ans, quelques chercheurs prétendent que la troisième révolution industrielle fera disparaître 47% des emplois en Amérique du Nord.

La troisième révolution industrielle est à peine déclarée que notre premier ministre, monsieur Couillard, nous prévient que la quatrième révolution industrielle est à nos portes. La quatrième révolution industrielle sera l’ère des robots, de l’intelligence artificielle, des nanotechnologies et de l’impression 3D. Les véhicules autonomes s’en viennent. Le métier de chauffeur est menacé. Les cols blancs autant que les cols bleus n’y échapperont pas. Pour que cela fonctionne, notre monde devra être uniformément standardisé. Dans les pays les plus industrialisés, 5 millions d’emplois disparaîtront.

ITINERANT

Il y a quelques semaines, nous avons appris qu’il ne reste au Québec que 200 artisans pour entretenir et réparer notre patrimoine immobilier historique. La plupart seraient dans la région de la ville de Québec.

Plus personne n’occupera le même emploi toute sa vie. En moyenne, chacun occupera 19 emplois différents au cours d’une vie active. Plus personne n’aura le temps de devenir le meilleur de sa cohorte. Chacun sera un salarié interchangeable de l’économie de marché, peu importe ce qui le fait vivre dans son cœur et dans sa tête.

L’ouvrier expert de son métier est en voie de disparition. Très peu sauront, aussi bien que les ouvriers qui ont construit Hochelaga-Maisonneuve, construire le monde pour qu’il ait la solidité de porter le temps de l’histoire. Le savoir-faire qui les a longtemps fait vivre par le corps et l’esprit sera remplacé par une collection de modes d’emploi.

En 1989, j’étais technicien spécialisé en procédés non destructifs à la Versatile Vickers. Notre bureau de contrôle de la qualité était installé au deuxième étage dans un coin de l’atelier no 2 (shop2), un bâtiment de près de 150 mètres situé le long de la rue Notre-Dame, qui a été démoli pour être remplacé par un monticule de terre.

À la Vickers, seulement 8% des ouvriers atteignaient l’âge de 65 ans. Fondée en 1911, la compagnie a déjà compté 5000 employés qui ont construit, entre autres, des sous-marins, des hydravions, les premiers wagons du métro de Montréal et la première éolienne québécoise qui a été installée à Cap-Chat. Lorsque la Vickers a fermé ses portes en 1990, elle ne comptait plus que 500 ouvriers à son emploi. Les machines à souder peintes en vert militaire héritées de la Deuxième Guerre étaient toujours en usage.

On y fabriquait, pour ainsi dire à la main, des coques de sous-marins nucléaires et certaines autres composantes pour la marine américaine. La coque est un long assemblage de cylindres d’acier au carbone de 32 pieds de diamètre. Afin de prévenir les fissures de soudage, le métal était chauffé jusqu’à 200 degrés Fahrenheit par des éléments chauffants comme ceux qui sont utilisés dans les fours de cuisine. Une sorte d’enfer sur terre « ordinaire » qui permettait à plusieurs de gagner leur vie.

MarcelVickers

En 1989, l’usine menaçait de fermer. Je ne pouvais accepter que des ouvriers de cette trempe sombrent dans l’oubli. J’ai trouvé six volontaires dont j’ai moulé le visage pour les représenter tous. Chacun d’eux apparaît deux fois sur la murale que j’ai ensuite fabriquée. Les visages nus expriment toute leur humanité. Couverts d’équipements de sécurité, les visages étaient méconnaissables comme les ouvriers au travail. La murale en hommage aux ouvriers de la Vickers est en quatre modules. Un pour chacune des saisons de la vie de l’entreprise.

Ces six ouvriers exceptionnellement immortalisés dans le bronze d’art devraient se retrouver sur la place publique au centre du quartier Hochelaga-Maisonneuve où un grand nombre d’entre eux ont vécu et élevé leur famille, avant que nous ayons tous oublié par qui et comment ce quartier a été construit.

 

Vickers2016

 

 

Note : Malcolm Gladwell. Les prodiges version française de Outliers: The Story of Success (2008)

Jeremy Rifkin. La troisième révolution industrielle (2013)

Les trois révolutions industrielles

À la fin du XVIIIe siècle, au Royaume-Uni, l’extraction massive du charbon permet l’invention de la machine à vapeur et fait émerger de nouvelles industries, notamment textiles. Dès 1800, de nombreux brevets mènent à la commercialisation de machines à coudre mécanisées au Royaume-Uni, puis en France. Par ailleurs, le travail de la fonte progresse, des métaux nouveaux apparaissent, l’industrie métallurgique puis sidérurgique favorise la construction de ponts puis, au milieu du XIXe siècle, le développement du chemin de fer.

Les deuxième et troisième révolutions industrielles sont mondiales

La deuxième révolution industrielle apparaît entre 1890 et 1910 en Allemagne et sur la côte Est des États-Unis. L’extraction du pétrole puis l’invention de l’électricité permettent d’adapter les matériaux en vogue (l’acier et l’aluminium) à des industries de pointe. Le secteur automobile explose en Europe et dans quelques États de l’est des États-Unis. La troisième révolution industrielle apparaît entre 1970 et 2000 sur la côte Ouest des États-Unis et au Japon. L’électricité d’origine nucléaire motive la recherche, fait émerger des matériaux révolutionnaires (résines, silicones, céramiques) et participe à la diffusion mondiale de nouveaux moyens de transmission (Internet).

 

 

Révision de texte : Valentine B.  (info@bourjoi.com)

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