En page A5 du journal La Presse de jeudi 21 août Patrick Lagacé titre son article « ça s’appelle l’idéologie ».

Lorsqu’il s’agit des schtroumpfs d’Ottawa, je ne crois pas que nous puissions parler d’idéologie. Il faudrait en premier lieu qu’ils aient des idées. Il ne semble y avoir qu’un objectif(?).

Depuis qu’il a distraitement posé le premier moellon de la première ziggourat, le glorieux C.C (Chasseur-cueilleur) n’a de cesse d’en faire un tumulus anonyme.

Depuis qu’il y a des hommes pour polir la pierre et couler le bronze en formes gracieuses il y a des glorieux C.C. pour brûler les bibliothèques d’Alexandrie de ce monde.

Ce qu’on prend pour de l’idéologie n’est en fait que l’expression d’une attitude sous forme de certitudes, un caractère la plupart du temps abrasif qui se donne l’air de raisonner. Il n’y a malheureusement aucun projet sous ces déraisons, il n’y a que des réflexes défensifs.

Il y a plus de quarante ans de cela, j’avais un ami. Un très bon ami, le meilleur qu’on puisse avoir, du genre qui se serait fait couper un bras sans hésiter si cela avait été nécessaire. Il pouvait me faire rire durant des heures, une nuit entière s’il en avait le loisir. Marcel était voisin immédiat tout en étant aussi éloigné que possible de Rolland Bédard. Le monsieur Maytag au menton proéminent des années 70.

Alors que sa maman buvait sa vie décharnée au Lion d’Or, Marcel prenait soin de sa petite sœur à lunettes épaisses comme des fonds de bouteille et intellectuellement éprouvée. Il n’y avait aucun père en vue dans cette famille. Il était décédé quelques années auparavant. La maison familiale avait été engloutie dans les troubles qui avaient suivi. Marcel avait aussi un frère aîné qui l’endurcissait à coups de poing nus et jointures serrées. Il n’y avait qu’au visage qu’il ne se donnait pas le droit de frapper. Marcel avait déjà fait une sortie en bordure de route une arme non chargée à la main. Il en était revenu avec six mille dollars en poche. Marcel a traversé l’adolescence en survivant à coup de recels et autres expédients. Une vie souvent en forme de colère et de rebuffades, rarement de résignation.

Je l’ai vu s’essayer à devenir honnête comme son ami, comme moi qu’il disait. D’autres fois il disait ‟ normal ”. Dans le quartier, un homme athlétique au milieu de la quarantaine vivant de l’ouverture clandestine de coffres-forts était aussi un modèle. Cet homme étudiait méthodiquement les systèmes d’alarmes et serrures. Il s’entrainait pour rester en forme ( peut-être pour courir devant les policiers le poursuivant ) et jouait aux cartes ainsi qu’aux échecs pour garder son esprit vivace. Marcel avec son physique d’Alan Ladd, acteur blondinet connu de l’époque, s’entraînait également. Il faisait, entre autres et malgré sa petite taille, des « squats » en tenant quelques dizaines de kilos de fonte sur les épaules.

Marcel hésitait parfois. C’est difficile de ne gagner qu’un dollar de l’heure alors qu’on en a aisément ramassé six mille en une soirée. Il a travaillé dans une usine de cristaux de boisson à saveur d’orange. Tous les soirs malgré une douche il revenait les cheveux brûlés par l’acide citrique contenue dans le mélange. Une autre fois ce fut dans le nettoyage de réservoirs d’huile. Il en revenait plutôt noirci de cambouis. Une journée au volant de sa vieille automobile, il a tenté de ramasser un mégot de cigarette qui était tombé entre ses jambes en traversant une intersection. Il a embouti plusieurs voitures. Comme ce n’était pas son premier accrochage, aucun assureur ne voulait plus le protéger. Il s’est senti humilié et découragé. Il ne cessait de répéter qu’il ne comprenait pas comment on faisait pour être comme les autres. Il se sentait marginal, hors du monde.

Je l’avais déjà perdu de vue depuis quelques années lorsqu’il est entré à la prison de Bordeaux sous autant de chefs d’accusation qu’il avait alors vécu d’années.

Margaret Mead l’Anthropologue culturelle dirait de Marcel que son enculturation ne s’était pas réalisée. Il aurait voulu ramener la société à lui plutôt que de se rendre à elle. Je me souviens qu’il avait une vision de l’honneur très étroite. Il était aussi toujours sur la défensive. Même si je fus un temps son meilleur ami je ne pouvais l’approcher et le surprendre. En réaction, j’étais certain de recevoir plusieurs coups de poing à la volée. Il était souvent primaire et impulsif. Quels qu’aient été consciemment ses efforts, dès qu’il relâchait la garde la nature revenait au galop.

Il y a aujourd’hui à différents degrés, de différentes manières, des citoyens comme Marcel évoluant parmi nous. Ça ne fait pas de différence qu’ils ne soient pas violents. Ils restent défiants. Certains même sont à la tête d’organisations, d’organismes ou de mouvements plus ou moins importants. Des hommes et des femmes astucieux qui arrivent à se soustraire à notre regard en se positionnant au dessus. Le relativisme apparent de cette société que nous inventons au quotidien est très difficile à assumer pour eux.

Patrick Lagacé qualifie certains de ces résistants de père Fouettard, de figurante ou de croisé. Tous ont en commun de faire montre d’attitudes de caractères plutôt que d’idées.

Les idées nous sont familières. Platon le premier en a pressenti l’importance. En ayant apprivoisé un grand nombre, les Québécois ont rarement peur des idées. Nous en faisons tous les jours un grand usage. Elles ne menacent que les Talibans inquiets de ce monde.

Depuis la publication de l’ouvrage intitulé « Le gène égoïste » par Richard Dawkins en 1976 nous savons même que les idées nous habitent et que finalement elles nous font. Les idées sont comme ceux qui les portent; vivantes. Elles évoluent et cela rapidement. Notre identité est le fruit de nos efforts d’idéation, Freud l’a expliqué en long et en large. Rien en nous n’est plus déterminant que notre nature psychique. L’ignorer nous condamne à l’étroitesse d’esprit et aux convictions immuables. Nous condamne à refuser de devenir l’hôte de l’empathie et surtout refuser de devenir autre.

Pour les organismes vivants, le mécanisme de survie le plus évident est la diversité. C’est pour cela que le biologique a inventé le sexe. La parthénogenèse ne suffisait pas. Plus la diversité est grande, plus la capacité de survie en des contextes différents est élevée. S’il y a une raison conduisant à favoriser la liberté de choix et des modes de vie, même les modes de vie précaires, ce serait celle-là!

Lors des prochaines élections fédérales, nous assisterons ainsi à un ersatz de combat entre les hommes d’aujourd’hui, des hommes d’ouverture et d’audaces au moins intellectuelles, des hommes ayant le bout du gros orteil dans l’eau du vingt et unième siècle et les hommes du début du vingtième siècle.

Un affrontement virtuel entre quelques hommes et femmes qui ne cessent de faire usage des idées et les autres dans l’esprit desquels les idées vont mourir.

©2024 Leopol Bourjoi bourjoi.com

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