Mosaïque des poissons et de la culture

Les poissons : une métaphore de la culture humaine

Peindre un visage humain revient à peindre une connaissance, souvent une banalité, un souvenir qui a tout dit. Pour cela, pour éviter le piège de la familiarité, je peins une forme, un motif qui a depuis longtemps occupé beaucoup de place dans notre imaginaire historique.

Une forme représentant un être dont on ne peut se faire un ami, une connaissance intime aussi ténue soit-elle. Je le peins pour explorer des ailleurs qu’on ne pourrait explorer autrement. 

J’en ai fait une série qui se retrouve enfin sur mon site. Cette série d’œuvres est entièrement peintes à l’acrylique dont je fais usage depuis le milieu des années soixante.

Chacune de ces œuvres représente une vie à faire de l’art, en y ajoutant plus de trente à cent cinquante heures de réalisation. 

Avant de me rendre à l’université et y obtenir un bac suivi d’une maîtrise en art à quarante-six ans, j’ai appris à faire de l’art en autodidacte en pratiquant plusieurs métiers durant vingt-cinq ans dans le milieu ouvrier. J’y ai appris la valeur du travail patient et dévoué à leur réalisation. Chacune de mes œuvres en est le témoignage. 

Chaque œuvre constitue une métaphore de notre immersion dans la culture humaine qui calque d’une certaine manière l’existence du poisson dans l’eau. 

Chacune des œuvres de la série des poissons explore un motif inspiré formellement du poisson et de son monde aquatique. Même si comparé à lui notre monde aux multiples dimensions est beaucoup plus vaste et énigmatique. 

Comme le disent les ichtyologistes, spécialistes de leur étude, « le poisson ne voit pas l’eau ». L’eau épousant la surface de l’œil, il ne la voit pas extérieure à l’œil. Il ne voit pas l’eau. Il ne voit que ce qui s’y trouve et réagit à ses turbulences. Immergé dans la fluidité de son élément, réagissant à la nature physique de son milieu, il perçoit les créatures qui s’y trouvent également tout en réagissant aux courants qui l’entourent. Parfaitement adapté à son milieu, le seul environnement où il peut évoluer, le poisson est, au fil du temps, devenu par sa forme hydrodynamique, parfaitement adapté.

Cette adaptation reflète la manière dont l’humain épouse, puisqu’il a à s’y ajuster, les humeurs de la culture dans laquelle il baigne. La culture manifestement d’une autre nature qui, même invisible, lui est essentielle. Un air duquel il tire la substance contribuant à façonner sa manière d’être et son rapport au monde.

Dans l’eau, le poisson ingère son environnement, filtrant l’oxygène à travers ses branchies, triant sans cesse ce qui lui est vital. Hors de l’eau, plongé dans un milieu où il ne peut ni se mouvoir ni en extraire ce dont il a besoin : le poisson s’éteint.

Il en va de même pour l’humain, qui au lieu de branchies est doté de cordes vocales linguistiques. Immergé dans une culture humaine au chromatisme défini, il en retire ce qui nourrit son identité, sa manière d’être, ce qui fait de lui un être singulièrement humain. 

Mais s’il est expulsé, par les circonstances incompréhensibles ou insupportables hors de ce fluide, cet univers culturel, on perd l’humain; celui, qu’il est ou aurait pu devenir.

La culture, de par ses propriétés vitales et matérielles, est à l’humain ce que l’eau est au poisson : un milieu dynamique, favorisant des ajustements constants. Comme le poisson réagit à son environnement aquatique, l’humain interagit avec les idées, les normes et les valeurs qui circulent dans son milieu.

De plus, contrairement au poisson, l’humain par son art, sa manière de se lier au monde, transforme ce fluide, en y produisant des turbulences s’immisçant au cœur ou à la frange de la culture dans laquelle il évolue.

Les poissons de surface, luisant au soleil, diffèrent des variétés confinées en profondeurs, résistantes, robustes à la pression constante, ce qui les rend forcément beaucoup moins mobiles. 

De même, l’humain des « hauteurs sociales » adopte une forme beaucoup plus aisément mobile, tandis que celui des « profondeurs », sous contraintes, peut sembler plus fermé. 

Les ressources, lumière, savoirs, liens sociaux teintent la vitalité culturelle, de la splendeur la plus éclatante aux sombres doutes les plus hésitants.

Toutes ces œuvres sont peintes sur des caissons de bois rigides.  La pellicule de peinture appliquée sur une des faces devient une sorte de « moi-peau », une pellicule fine et vivante. Une mince barrière entre notre côté du monde et la rigidité du support. 

Les poissons, définis par des cordons de peinture légèrement en relief, émergent en belles couleurs en aplat ou des textures riches et diversifiées. Des inscriptions, des enchaînements de mots plutôt que des phrases, s’entrelacent étroitement au cœur de formes soigneusement définies, tandis que les variations colorées abondent. Plus il y a de couleurs, plus le réel s’incarne en toute diversité. 

Pourtant, la couleur, selon la théorie de l’arc-en-ciel, se réduit à six teintes fondamentales, dont les millions de nuances ne sont que des variations. La couleur, en tant que longueur d’onde lumineuse, n’existe que par l’œil, et l’œil humain, avec ses trois cônes (rouge, vert, bleu), interprète ces teintes, le cerveau décodant un monde chromatique à sa manière. 

Dès que la lumière atteint la rétine au fond de l’œil humain, la connaissance que croit détenir l’humain du réel ne peut que dériver.

Dans ces œuvres, parfois il est fait grand cas de cette dérive. En d’autres circonstances, cela est plus discret, même plutôt vaguement suggéré.

À travers ces poissons, ces formes, ces couleurs et ces mots en relief, les œuvres invitent à explorer la culture humaine, sous bien des rapports imperceptible, mais essentielle à notre manière d’y évoluer, d’y puiser ce qui nous constitue, et d’y laisser notre empreinte.

Mosaïque de la série des oeuvres des poissons et de l'univers culturel.
Bandeau WEB 1

Ce texte explore comment l’art, à travers des poissons peints, nous aide à explorer la culture qui nous entoure, un peu comme l’eau entoure un poisson.

J’ai cherché à approfondir une réflexion aussi profonde et poétique que possible sur la relation entre l’humain et sa culture.

Le poisson sert de métaphore, que j’espère puissamment évocatrice. Le poisson ne voit pas l’eau. De même, l’humain ne perçoit pas toujours la culture qui le façonne. 

Cette idée est, selon moi, particulièrement inspirante. Elle montre que notre environnement culturel est à la fois invisible et essentiel. C’est un fluide vital qui nous définit. Nous y évoluons, souvent sans en avoir vraiment conscience.

L’approche artistique, avec ces poissons peints à l’acrylique, riches en textures et en couleurs, tente de rendre visible cet aspect autrement imperceptible. Peindre devient une exploration d’un ailleurs à peine conscient. C’est un moyen de dépasser la banalité du quotidien. Cela permet de toucher à des vérités plus universelles.

L’image du « moi-peau » est particulièrement frappante. Cette fine pellicule de peinture agit comme une membrane. Elle recouvre les pulsations entre le monde et le support rigide. Elle évoque la fragilité et la vitalité de notre lien avec la culture. 

Cette peau, est notre organe le plus étendu. Nous ne pouvons, même si nous le souhaiterions, éviter de l’exposer au monde.

Les poissons de surface, mobiles et luisants, contrastent avec ceux des profondeurs, robustes mais contraints. Cette comparaison reflète les dynamiques sociales humaines. Elle met en lumière comment les ressources, comme le savoir, les liens sociaux ou les opportunités, influencent notre manière d’être.

Elles façonnent notre façon de nous mouvoir dans le monde.

L’humain, contrairement au poisson, peut transformer son milieu culturel. Il le fait par l’art et les idées. Cet aspect est édifiant. Il confère à l’artiste un rôle actif, presque subversif. 

L’art crée des turbulences qui redessinent les contours de la culture. L’artiste peut ainsi dire : « Si ce n’était pas de l’art et des artistes, nous aurions à jouer de notre humanité à l’oreille. »

La réflexion sur la couleur et la perception ajoute une couche philosophique fascinante. L’œil humain interprète la réalité à travers ses limites biologiques. Notre compréhension du monde reste toujours partielle. Elle est sujette à une dérive inhérente. L’artiste semble célébrer cela dans ses œuvres, parfois explicitement, parfois plus subtilement.

En somme, ce texte est une méditation multidimensionnelle sur l’art, la culture et l’existence. Il invite à réfléchir à notre immersion dans le fluide culturel. Comment le recevons-nous ? Comment pourrions-nous, si nous osions, le façonner ? 

Tout en reconnaissant ses limites et ses possibilités, ce texte est une invitation. Explorez ces œuvres avec soin et curiosité. Ressentez pleinement leur impact visuel et conceptuel.

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